Entretien avec Sophie Dubuisson-Quellier

Entretien avec Sophie Dubuisson-Quellier

Dans le transcript des entretiens menés par notre groupe, les questions posées par l’élève sont en gras tandis que les réponses de l’interviewé.e sont en style normal.

Questions sur les chiffres de la surconsommation

En tant que chercheuse, quels indicateurs utilisez-vous pour évaluer les chiffres de la surconsommation ? Est-ce que le chiffre du dépassement fait partie de ces indicateurs ?

Je ne fais pas ce type de chiffrage.

Pensez-vous que ces chiffres présentent la situation « réelle » ou ont-ils des biais/ des angles-morts ?

Je pense qu’il serait aussi utile de chiffrer la surproduction, en rapportant la production au niveau des ventes, afin d’évaluer le niveau de ce qu’on appelle le gaspillage : ce qui est produit mais n’est pas absorbé par la consommation.

Dans les médias sont régulièrement relayés des chiffres liés à la surconsommation comme le Jour du Dépassement ou la limitation de l’augmentation de la température à 1.5 degrés. Est-ce ces données sont pour vous utiles pour sensibiliser l’opinion publique sur la nécessité de consommer autrement ? Ont-ils seulement cette vocation ?

Oui ces questions sont utiles pour sensibiliser les consommateurs. Mais parler de surconsommation fait peser de manière déséquilibrée la responsabilité sur les consommateurs. C’est d’abord la production qui fait peser une tension sur les ressources et comme la production excède bien souvent les niveaux de consommation, c’est d’abord sur les niveaux de production qu’il faut informer.

Quelles données sont à la disposition des décideurs pour prendre des mesures contre la surconsommation ?

Actuellement il n’y en a peu. Mais la récente campagne de l’Ademe ouvre la place pour une parole publique en faveur de la déconsommation.

Est-ce que les données communiquées publiquement précédemment évoquées leur sont utiles en tant qu’outils de prise de décision ou en tant que KPI ?

Je ne sais pas.

À quoi ressemblerait l’indicateur idéal sur la surconsommation ?

Il faudrait plutôt un indicateur de sur-production : combien de produits fabriqués ne sont pas consommés mais sont détruits ou abandonnés.

Questions sur la surconsommation en général

Dans le cadre de votre expertise en sociologie de la consommation, comment percevez-vous l’impact de la surconsommation sur les comportements individuels et collectifs, et comment cela se manifeste-t-il dans différents contextes sociaux ?

Je pense que les discours sur la surconsommation sont pour le moment relégués à une critique militante décroissantiste, qui ne permet pas véritablement d’aborder cette question.

Comment votre travail examine-t-il les mécanismes qui encouragent la surconsommation et comment ces mécanismes diffèrent selon les groupes sociaux ?

La consommation fait l’objet d’encouragement de par de nombreuses façons. En bas de l’échelle sociale, la consommation est alimentée par un discours qui joue sur les aspirations sociales et les formes de participation à la société : consommer est un moyen d’atteindre un niveau de bien-être pour la majorité des individus.

En tant que chercheuse au CNRS, comment percevez-vous le rôle de la recherche scientifique dans la promotion de modes de vie plus durables et la sensibilisation à la surconsommation ?

La recherche en science sociale a bien analysé les mécanismes de la consommation, mais ces travaux et ces savoirs sont finalement bien peu utilisés. On continue de voir la consommation comme des choix individuels, indépendamment des fonctionnements collectifs dans lesquels ils sont pris.

Quelles sont les principales lacunes ou questions en suspens dans le domaine de la recherche sur la surconsommation, et quelles directions aimeriez-vous voir explorées à l’avenir ?

Attention cette notion de sur-consommation relève d’un jugement de valeur et nous ne pouvons l’utiliser telle quelle en sciences sociales. Identifier la sur consommation supposerait de savoir dire quel est le niveau de consommation acceptable, ce qui ne relève pas des sciences sociales, mais plutôt du débat politique et démocratique. Les sciences sociales peuvent en revanche être en mesure d’objectiver les écarts qui existent entre les niveaux de production et les niveaux de consommation, les conditions de création de la valeur, ou encore la formation des prix.